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Les Kenyans dominent le fond

Les Kenyans dominent le fond
Par Sylvain Bazin 30 mai 2017 42922 Vues Aucun commentaires

Les Kenyans dominent le fond... Et la science ne l'explique pas !

La domination des athlètes est-africain sur le demi-fond et le marathon mondial est flagrante. Pourtant, la science peine à trouver une explication à cette main-mise.

Les différents travaux menés sur le sujet n'ont pour l'instant aboutis à aucune conclusion dans le sens d'un avantage génétique aux coureurs de l'est du rift. Pourtant un bon nombre d'hypothèses et de préjugés continuent à courir...

La piste du gabarit.

Je me souviens d'un film allemand qui présentait une équipe de chercheurs menant des travaux sur la domination des Kenyans il y a quelques années.

Leur idée se résumait ainsi : les Kenyans présentent une musculature des jambes très fine, notamment au niveau des mollets, qui leur permet une meilleure économie d'énergie à des vitesses élevées et donc de régner sur le demi-fond long et le marathon mondial.

Ce gabarit, poursuivaient ces scientifiques, est moins répandu en Europe. Seuls les européens (et les autres ) dotés de ces caractéristiques rares pourraient rivaliser avec les Kenyans.

Cette explication était séduisante et je me souviens que dans ce documentaire, elle était soutenu avec aplomb. Sauf que depuis, je n'en ai plus guère entendu parler.

Il faut dire que cela ne semble pas tant tenir que cela : déjà , au moment où ce documentaire était sorti, les rares athlètes internationaux qui résistaient à cette hégémonie kenyane sur marathon présentaient des gabarits, notamment au niveau des mollets, très éloignés de ces standards invoqués comme condition de la réussite sur ces distances : le musculeux coréen Lee Bong Ju, double médaillé olympique pile à ce moment là, aurait pu être l'exception qui confirme la règle. Il se distinguait même par des mollets particulièrement énormes qui lui avaient tout de même permis de réaliser 2h 07' et de remporter le marathon de Boston !

Si l'on voulait chercher la petite bête, les gabarits "extrêmes" du premier non-africain à réaliser moins de 27' sur 10 000 m, l'Américain Chris Solinski, 1m 85 et 75 kgs, ou de l'anglais Andy Vernon (1m80, 74 kgs), vice-champion d'Europe du 10 000 m et actuel champion d'Angleterre de la discipline, pourraient rendre fumeuse cette théorie. Enfin, les gabarits de certains coureurs est-africain sont eux-mêmes en contradiction : Bekele est certes léger et petit mais présente une musculature puissante au niveau des mollets et des quadriceps.

On trouve d'ailleurs des gabarits puissants et musculeux chez certains kenyans, notamment chez les spécialistes de distances inférieures, comme David Rudisha, qui finissent de briser cette théorie.

D’autres pistes explorées sans résultats.

Bien entendu, d’autres équipes scientifiques ont voulu depuis en savoir plus et ont exploré de nombreuses pistes. Bien entendu, la piste génétique fut la plus exploitée : pour l’instant, elle n’a rien prouvé quant à un des caractéristiques communes aux coureurs d’élite qui pourraient expliquer leur domination. En effet, si les ethnies Kalenjin au Kenyan et Arsi en Ethiopie recrutent le gros des coureurs de haut-niveau dans ces deux pays, leur diversité génétique reste très importante et ne permet pas de conclure à quoi que ce soit.

La piste physiologique a bien entendu été à nouveau testée : mais là encore, comme l’expliquait Pierre-Jean Vazel dans son article de blog en 2013, rien de concluant : les kenyans ont une VO 2 max, un profil hématologique ou encore des fibres musculaires qui ne les distinguent en rien des européens.

Des croyances et des préjugés bien ancrés

Dans un article scientifique très complet, les chercheurs suisses Francesca Sacco et démontent également les croyances qui courent sur la domination africaine en athlétisme. Ils listent notamment des études sur le VO2 max, le taux de graisse corporelle ou les performances des enfants qui ne mettent en valeur aucune supériorité notable chez les africains.

Du coup, toute les conjectures sur la domination de l’Afrique de l’est, y compris l’argument de la vie en altitude (qui ne se traduit pas chez d’autres peuples par une aptitude évidente au demi-fond) semble pure spéculation. Alors où faut-il chercher ?

L’entraînement est-il la clé ?

L'entraînement y est sans doute pour quelque chose : les kenyans, notamment, s'entraînent très dur. Ils n’ont pas retenu dans leurs principes de préparation la périodicité de l’entraînement et s’entraînent ainsi dur toute l'année. Pour eux plus que leur mode de vie et les courses de l’enfance, c’est la dureté de leur préparation qui fait la différence.

Une difficulté qui peut sans doute encore rebuter certains spécialistes venus de pays occidentaux, mais qui n’est peut être pas non plus l'explication clé. Bien sûr, parmi un nombre de candidats bien plus important qu’ailleurs, ceux qui réussissent à passer sans blessures ou fatigue trop excessive cette préparation intensive pourront se montrer extrêmement compétitifs. Or, la course à pied est le sport numéro au Kenya et draine un très grand nombre d'ambitions.

La brièveté des carrières, dans un pays où rester plus de quatre ans sur le circuit est assez rare, peut aussi expliquer cette préparation commando : le kenyan veut briller tout de suite et se retire le plus souvent dès les premières victoires et primes engrangées. Il n’y a donc pas de prudence et de montée en puissance progressive à prévoir. Un très bon spécialiste mondial de demi-fond irlandais, Alistair Cragg, en faisait le constat il y a quelques années : “Ils se préparent le plus souvent si dur qu'ils ne tiennent qu’une ou deux saisons. Mais j’aimerai bien échanger toutes mes saisons moyennes contre une seule de leurs saisons exceptionnelle !” disait-il.

Ces différents éléments, entrainement dur et sans trève, conditions sociales et large panel de candidats, expliquent sans doute en partie, plus que la génétique, l'hégémonie de l'Afrique de l’est. On avance aussi le travail très axé sur les changements de rythme à l'entraînement. Côté nutrition, on note un régime très tourné vers les glucides, avec peu de protéines et de graisses. C’est certes sans doute vrai, mais alors pourquoi les coureurs des autres pays, qui ont pu observer cet entraînement depuis quelques années déjà, ne parviennent ils pas à réduire l'écart ?

Le spectre du dopage

Le mystère reste donc presque entier. D’autant plus que si l'on regarde l'évolution de la présence des kenyans - et dans une moindre mesure des éthiopiens- dans la hiérarchie mondiale en demi-fond et encore plus sur le marathon, on s’aperçoit qu’elle est devenue vraiment écrasante seulement ces quinze dernières années, alors que la course à pied est le sport majeur de ces pays depuis au moins les années 60.

Pourquoi cette domination soudaine, alors même que les kenyans avaient du mal à s’imposer sur marathon jusqu'à l'orée des années 2000? Un changement d'entraînement, une meilleure stratégie ? Cela ne semble pas totalement convaincant…

De là à penser que la généralisation du dopage dans les camps d’entraînement kenyans (souvent supervisés depuis quelques années par quelques sulfureux entraîneurs italiens venus du cyclisme…) expliquerait mieux le phénomène, certains ne sont pas loin de le penser.

Le documentaire accablant réalisé par Hajjo Sepeld pour la télévision allemande ARD l’an passé, qui montre clairement le recours massif à l’EPO dernière génération et aux autres produits dopants dans les centres de préparation kenyans, jette encore un peu plus de doute.

Alors, entre émerveillements et suspicions, à l’abri de tout déterminisme génétique authentifié, comment devons-nous considérer les performances des kenyans ? … Le doute semble permis.